La résilience des sols irradiés en question

Février 2025

Comment réagissent les sols à une irradiation ? C’est la question à laquelle tentent de répondre les projets Irrasoil et Tsuchi. Immersion auprès des chercheurs qui étudient le fonctionnement de ces écosystèmes sur le terrain et dans leur laboratoire.

Un petit monde sous presse. Franck Gilbert (à gauche), directeur de recherche CNRS, au Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement, (CRBE) à Toulouse, et Magali Floriani (à droite), ingénieure de recherche en microscopie électronique, à l’IRSN, préparent des mésocosmes à l’Institut national de recherche en agronomie et environnement (Inrae) d’Avignon. Chacun d’eux est constitué d’un tube en PVC rempli de terre végétale. Le remplissage se fait par couche successive. Le sol reconstitué est ensuite tassé à l’aide d’une presse hydraulique.

- © Jean-Marc Bonzom/IRSN (2022).

En cet automne, c’est le temps idéal pour une promenade en forêt. Là, dans la région de Toulouse, mais également près d’Avignon, des individus collectent avec précaution ici de la terre, là des feuilles mortes, puis emmènent leur cargaison dans leur laboratoire. Qui sont-ils ? Des membres de l’équipe d’Olivier Armant, du laboratoire d’écologie et d’écotoxicologie des radionucléides (Leco) de l’IRSN – devenu aujourd’hui l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) –, à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Leur objectif est d’étudier les effets des rayonnements ionisants sur la biodiversité des sols et leurs fonctions écologiques.

Le monde dans un cylindre

Dans le cadre du projet Irrasoil, démarré en 2022, les chercheurs reconstituent en laboratoire des sols, des « microcosmes », c’est-à-dire des sortes de « petits mondes » dans des enceintes contrôlées. Il s’agit de cylindres de 40 centimètres de hauteur et 10 centimètres de diamètre dans lesquels des échantillons de terre, avec différents niveaux de compaction, sont recouverts d’une litière constituée de feuilles. Olivier Armant précise : « Avec de tels dispositifs, notre intention est d’étudier les effets d’une irradiation sur deux fonctions primordiales : la dégradation de la matière organique – la transformation des feuilles mortes, la litière, en humus fertile – et la bioturbation, c’est-à-dire la modification de la structure du sol, essentiellement par les vers de terre, dont les galeries améliorent la porosité des sols et leur pouvoir de rétention d’eau. »
Les cylindres sont ensuite répartis selon deux niveaux d’humidité : l’un pour mimer des conditions sèches et l’autre une humidité normale. Puis ils sont soumis à divers taux contrôlés d’irradiation dans l’installation Micado Lab1. Ainsi, il devient possible d’approcher les potentielles interactions des rayonnements ionisants avec certaines conséquences du changement climatique comme le stress hydrique.

Une complémentarité bienvenue

« L’intérêt de ce protocole est d’obtenir des informations en conditions contrôlées et d’isoler la contribution des seuls rayonnements ionisants par rapport à d’autres facteurs environnementaux, notamment la saisonnalité », explique Olivier Armant. De la sorte, les chercheurs complètent et comparent les enseignements tirés du terrain, notamment au début des années 2010 dans les environs de la centrale de Tchernobyl. Ils constatent que les résultats entre les différentes études sont contradictoires : certaines montrent dans cet environnement une augmentation de la dégradation de la matière organique du sol, signe d’une faune abondante et active, alors que d’autres montrent l’inverse. Le projet Irrasoil est là pour y voir plus clair. Il a déjà révélé que la bioturbation diminue drastiquement quand une irradiation est couplée à une sécheresse.
Une autre étude de terrain, celle du projet Tsuchi – qui signifie « terre » ou « sol » en japonais – est en cours. Cette fois dans les forêts de cèdres plus ou moins éloignées autour de la centrale de Fukushima. Des prélèvements de sol sont effectués en novembre 2023 et à l’automne 2024. Des résultats préliminaires – à confirmer – indiquent qu’au-delà d’un certain seuil de radioactivité l’abondance de la microfaune (vers de terre, collemboles, acariens…) s’effondre.
L’ambition de ces études est de faire de la biodiversité des sols un indicateur de la santé et de la résilience de ces écosystèmes si mal connus en fonction des stress, ici la radiocontamination.

Lumière sur un remaniement

Des traceurs fluorescents microscopiques sont ajoutés dans un échantillon de terre afin de mesurer les effets des rayonnements ionisants, couplés ou non à un stress hydrique, sur le remaniement des particules du sol (la bioturbation) par des petits vers (enchytréides).

© Jean-Marc Bonzom/IRSN (2022).

Des escargots de choix

Pour préparer la faune du sol destinée à compléter les microcosmes, Sylvain Lamothe (technicien au CRBE, à Toulouse) trie des escargots qui accompagneront les vers de terre. L’objectif est de mesurer la capacité les organismes du sol à dégrader des litières en fonction du contexte irradiatif et hydrique.

© Loic Quévarec/IRSN (2022)

Une chambre bien contrôlée

Des microcosmes sont placés dans une enceinte climatique qui permet de contrôler plusieurs paramètres environnementaux : la température ambiante, le taux d’humidité de l’air, le flux de l’air, l’alternance du jour et de la nuit…

© Jean-Marc Bonzom/IRSN (2022)

La traque aux vers

Le chercheur Yvan Capowiez, spécialiste des comportements des vers (à droite) et un étudiant (à gauche) prélèvent des vers de terre dans un ancien verger d’Inrae à Avignon. Ces animaux sont ensuite introduits dans les microcosmes terrestres.

© Jean-Marc Bonzom/IRSN (2022)

1. La plateforme Eco2Cad dispose de Micado Lab (Moyen d’irradiation chronique pour l’acquisition de relations dose-effet en laboratoire), un moyen d’irradiation consacrée à l’étude des effets d’une exposition chronique aux rayonnements ionisants sur les écosystèmes.


Pour en savoir plus

J.-M. Bonzom et al., Effects of radionuclide contamination on leaf litter decomposition in the Chernobyl exclusion zone, Sci. Total Environ., 2016.

https://www.ier.fukushima-u.ac.jp/en/
https://crbe.cnrs.fr/annuaire/gilbert/
https://umremmah.fr/recherche/equipes/equipe-discove/membres-de-l-equipe/capowiez-yvan